La basilique Marie-Reine-des-Apôtres de Yaoundé : Une des mémoires sacrées du Cameroun
Texte : Yves Xavier Ndounda Ndongo
Publié le 23 mai 2025
Située sur la colline de Mvolyé à Yaoundé, la basilique Marie-Reine-des-Apôtres incarne un projet architectural et spirituel d’envergure, à la croisée de l’inculturation chrétienne et du patrimoine camerounais. Construite entre 1990 et 2009 sous l’impulsion de Mgr Jean Zoa, elle remplace une ancienne cathédrale coloniale et adopte une architecture circulaire, symbolique et ouverte, intégrant des matériaux et des savoir-faire locaux. Cette étude met en lumière les dimensions historiques, culturelles, artistiques et théologiques de l’édifice, tout en plaidant pour sa reconnaissance comme monument de mémoire collective nationale. En croisant l’analyse architecturale, la symbolique religieuse et les enjeux de patrimonialisation, l’article montre comment cette basilique peut devenir un pôle de référence pour le tourisme culturel, la transmission des savoirs, et la valorisation du dialogue interethnique et religieux.
Mots-clés : Basilique mineur de Yaoundé, patrimoine religieux, inculturation, architecture sacrée, Jean Zoa, mémoire collective du Cameroun.

Source de l’image : fr.wikipedia.org

Catégorie : Art plastique – Patrimoine religieux national
Type : Architecture religieuse
Genre : Basilique Mineure
Auteur : Construction communautaire (Il semble que plusieurs ethnies du Cameroun ont contribué à sa réalisation)
Nom : Marie-Reine-des Apôtres
Année : 15 Août 1990 – 18 Mars 2009 (date inauguration)
Technique : Maçonnerie
Matériaux : Pierre, métal et bois (Bubinga et Moabi)
Dimensions : 32 mètres de hauteur contre 75 mètres de largeur.
Capacité d’accueil : Environ 4 000 places assises
© image : Yves Xavier Ndounda Ndongo, 2025.
Introduction
L'architecture religieuse, au-delà de sa fonction liturgique, constitue un puissant vecteur d'identité, de mémoire et de cohésion sociale. Elle inscrit dans l'espace physique les croyances, les récits fondateurs, les imaginaires, la spiritualité et les aspirations d'une communauté. Au Cameroun, la basilique Marie-Reine-des-Apôtres de Yaoundé se distingue comme une œuvre emblématique qui allie spiritualité, patrimoine et multiculturalisme. Ce monument, érigé sur la colline de Mvolyé, constitue à la fois un hommage à l’histoire de l’évangélisation, un manifeste architectural d’inculturation et une œuvre collective inscrite dans la mémoire nationale. Ce texte propose une analyse approfondie de cette basilique en tant que patrimoine artistique et spirituel, en interrogeant ses origines, sa conception architecturale, ses dimensions symboliques, et sa portée historique et identitaire.
1. Origines historiques : de la mission catholique à la basilique
L’histoire de la basilique prend racine dans l’arrivée des missionnaires pallotins allemands au Cameroun au début du 20ᵉ siècle. Le 13 février 1901, les pères Heinrich Vieter, Jean Jager et leurs compagnons s’installent dans la région du Mfoundi. Accueillis par le chef Essomba Mebe, ils reçoivent un terrain sur la colline de Mvolyé. Cette implantation marque le début d’un projet évangélisateur structurant, dont le père Vieter deviendra le symbole en étant nommé premier évêque du vicariat apostolique du Cameroun en 1905, avec siège à Mvolyé.
Entre 1923 et 1927, une cathédrale est érigée sur cette colline. Cependant, après plusieurs décennies de service, l’édifice montre des signes avancés de délabrement. En 1990, Monseigneur Jean Zoa, premier évêque camerounais de Yaoundé et figure majeure de l'Église locale, décide de sa démolition pour faire place à un nouveau sanctuaire marial. La pose de la première pierre a lieu le 15 août 1990, jour de l'Assomption, marquant symboliquement le lien entre la foi mariale et l’histoire de l’Église au Cameroun. L’édifice sera consacré basilique mineure le 10 décembre 2006 par le cardinal Jean-Louis Tauran, représentant du pape Benoît XVI, et inauguré officiellement le 18 mars 2009.
2. Une architecture au croisement de la foi et de la culture
La basilique Marie-Reine-des-Apôtres est une œuvre d’inculturation architecturale remarquable. Elle mêle des formes inspirées de la liturgie chrétienne à des éléments tirés des cultures locales camerounaises, dans un souci d’enracinement de la foi dans les traditions.
a) Une structure symbolique et dynamique
De plan circulaire, l’édifice repose sur une base conique légèrement dissymétrique dont l’axe est décalé vers la droite, conférant à l’ensemble une dynamique visuelle et spirituelle. Douze colonnes massives soutiennent l’édifice, symbolisant les Douze Apôtres, socles de l’Église. Ce choix exprime clairement la volonté de s’inscrire dans la tradition apostolique tout en donnant un sens communautaire à la construction : l'Église est édifiée par ses fidèles, comme le furent les premières communautés chrétiennes.
La toiture métallique semi-circulaire est conçue en escalier, menant à un dôme central vitré de forme élancée, parfois interprétée comme phallique, mais pouvant également renvoyer à des symboles ancestraux de fertilité, de transcendance et d’ouverture au divin. Cette structure ajourée laisse pénétrer la lumière, image biblique de la présence de Dieu.
Comme le souligne Essimi Terry,¹ « La basilique dispose d’un parking et d’infrastructures modernes pour faciliter l’accueil des fidèles. Elle est entourée de plusieurs établissements religieux et centres de spiritualité, notamment le Centre Spirituel Saint-Paul de Mvolyé. Pour ceux qui souhaitent approfondir leur visite, la basilique propose également des visites guidées et une documentation sur l’histoire de l’Église catholique au Cameroun »
b) Une synthèse culturelle des savoir-faire et des matériaux
L’édifice conjugue des matériaux locaux et importés : pierre, métal, bois précieux (bubinga et moabi), granite et verre. Cette diversité traduit la volonté de bâtir un édifice en dialogue avec les ressources du territoire et les techniques des artisans camerounais. Cela se distingue par les caractéristiques suivantes :
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Le maître-autel est fabriqué en granite d’Akok Bekoé adopte la forme du jeton Abbia, utilisé dans les jeux rituels chez les peuples du Centre. Il symbolise ici l’alliance entre le sacré et le profane, entre la liturgie et les rites ancestraux.
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Les vitraux colorés de 100 m² sont l’œuvre du maître-verrier français Henri Guérin, mais réalisés en lien avec les exigences locales. Ils mettent en scène des figures religieuses et des motifs traditionnels.
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Une vierge de 3,50 m, sculptée dans le bois sacré de Nkong Ondoa, domine l’espace, renforçant la dimension mariale de l’édifice.
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Le tabernacle et le crucifix, en bronze, ont été réalisés selon les techniques artisanales bamoun, peuple réputé pour sa tradition métallurgique.
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Le Chemin de Croix situé autour de la basilique permet une immersion spirituelle profonde.
Cette basilique est ainsi un véritable manifeste de l’unité par la diversité : les peuples du Cameroun, les matériaux et les symboles convergent vers un même centre spirituel.
La toiture métallique semi-circulaire est conçue en escalier, menant à un dôme central vitré de forme élancée, parfois interprétée comme phallique, mais pouvant également renvoyer à des symboles ancestraux de fertilité, de transcendance et d’ouverture au divin. Cette structure ajourée laisse pénétrer la lumière, image biblique de la présence de Dieu.

© image : Yves Xavier Ndounda Ndongo, 2025.
3. Une œuvre au service de la mémoire collective
Au-delà de sa vocation liturgique, la basilique est un monument mémoriel. Elle incarne une volonté d’inscrire l’histoire religieuse du Cameroun dans la pierre, et de rendre hommage aux figures fondatrices de l’Église locale.
a) Hommage à Monseigneur Jean Zoa
Initiateur du projet, Monseigneur Jean Zoa (vers 1922 – 1998) n’est pas simplement un bâtisseur. Il est également une figure politique et spirituelle centrale du Cameroun contemporain. En rendant hommage à sa mémoire, la basilique devient un mausolée symbolique, un tombeau sacré, un panthéon épiscopal consacré à un homme qui a voulu rassembler, instruire et bâtir. Son héritage est présent dans chaque pierre, chaque symbole, chaque choix architectural.
b) Ancrage dans l’histoire coloniale et postcoloniale
La basilique ne se comprend pleinement que dans le contexte historique de la transition du Cameroun du statut de colonie allemande à celui d’État indépendant. Elle incarne un récit de résistance, d’adaptation et d’émancipation. En détruisant l’ancienne cathédrale coloniale pour ériger un sanctuaire camerounais dans ses formes et ses valeurs, l’Église camerounaise affirme sa maturité et sa souveraineté symbolique.
c) Un creuset du multiculturalisme religieux
La participation de nombreuses ethnies camerounaises à la réalisation de l’édifice, tant dans la conception que dans l’exécution, illustre un projet communautaire et inclusif. C’est l’Église comme peuple de Dieu en action : artistes, artisans, croyants et responsables religieux ont uni leurs forces pour donner naissance à ce sanctuaire. Ainsi, la basilique devient un symbole de la coexistence pacifique et du dialogue interculturel au Cameroun.
4. Enjeux patrimoniaux : vers une reconnaissance nationale
L’inscription de la basilique Marie-Reine-des-Apôtres dans le patrimoine national camerounais est aujourd’hui un impératif culturel et identitaire. Au-delà de sa fonction liturgique, elle représente un bien commun porteur de sens, de mémoire et de savoir-faire.
a) Valorisation du patrimoine religieux
Au même titre que d’autres grandes constructions religieuses africaines, la basilique de Mvolyé doit être protégée, documentée et valorisée comme un patrimoine vivant. Elle peut devenir un lieu d’étude pour les architectes, les historiens de l’art, les anthropologues et les théologiens.
b) Tourisme culturel et spirituel
Avec ses qualités esthétiques et symboliques, la basilique peut jouer un rôle de premier plan dans le développement du tourisme culturel et religieux au Cameroun. Des circuits patrimoniaux peuvent être développés autour d’elle, en lien avec d’autres sites majeurs de Yaoundé, comme la cathédrale Notre-Dame-des-Victoires ou l’église protestante de Djoungolo.
c) Transmissions des savoirs
Elle abrite des mosaïques en céramique réalisée en 1998 par l’atelier de céramique de l’Institut de Formation Artistique (IFA) de Mbalmayo. Les techniques mises en œuvre (céramique, sculpture, vitrail, ferronnerie) sont porteuses de traditions et d’innovations. Un travail de documentation et de transmission de ces savoirs est essentiel pour assurer leur pérennité.

© image : Yves Xavier Ndounda Ndongo, 2025.
Conclusion
La basilique Marie-Reine-des-Apôtres de Yaoundé est bien plus qu’un édifice religieux : elle est une œuvre d’art, un lieu de mémoire, un symbole de résilience et un manifeste de l’unité dans la diversité. Par son architecture originale, ses choix symboliques et son enracinement historique, elle incarne l’effort d’une Église camerounaise en quête de sens, de reconnaissance et de transmission. Il est urgent de la reconnaître comme un élément clé du patrimoine national, de l’intégrer pleinement dans les politiques culturelles, et de l’enseigner comme un témoin vivant de la mémoire collective camerounaise.
Ainsi, inscrire cette basilique dans l’imaginaire national revient à reconnaître qu’au cœur de la foi chrétienne, se tisse aussi l’histoire d’un peuple, de ses douleurs, de ses aspirations et de ses rêves les plus sacrés.
Jean Paul Messina, Jean Zoa, Prêtre, Archevêque De Yaounde 1922-1998, édition Karthala, Paris, 2000, 298 pages.
Fabien Eboussi Boulaga, Christianisme sans fétiche : Révélation et domination, . Paris : édition Présence Africaine, Paris, 2000, 219 pages.
Article de Essimi Terry, Basilique Marie Reine des Apôtres du 13 février 2025 sur https://ayilaa.com/fr/sites-touristiques/3577-habitat-construction-historique-basilique-marie-reine-des-apotres